Transmission et engagement au sahaja

Enseignement de Lama Shérab Namdreul

 

Transmission

La transmission (ou introduction) au sahaja se dit "Ngo Treu" en tibétain et peut être considéré comme l’équivalent de l’initiation tantrique à la différence qu’il n’y a pas particulièrement de cérémonie chargée de toute une symbolique. Cette introduction à la nature de l’esprit et des phénomènes consiste à exposer la Vue de façon explicite avec un certain solennel suite à une requête d’un élève auprès d’un Lama de la lignée.

Par la suite, pour peu que l’élève s’applique à la vue pure[1] du Lama racine, la vigilance se doit d’apercevoir que la transmission à la nature de l’esprit et des phénomènes se poursuit en toute circonstance à travers les quatre « Lamas[2] » considérés comme « racine ». Ainsi, Milarépa déclara reconnaître le Lama racine en les cinq éléments, base de la manifestation du phénomène comme tel (sct. dharmata, tib. tcheu nyi).

Parmi ces quatre « Lamas », le Lama de la lignée est en quelque sorte le moins abstrait et le plus accessible. Cela ne veut pas dire qu’il soit plus aisé d’appliquer la notion de Lama racine dans une Vue dénuée de discrimination et d’imputation. C’est justement tout le contraire et c’est ce qui en fait tout l’intérêt. En effet, nous sommes tous l’autre de quelqu’un d’autre et, de fait, l’objet de ses projections. Comme tout à chacun, le Lama de la lignée n’échappe pas plus qu’un autre à la discrimination et aux imputations d’autrui. C’est important que l’élève puisse l’admettre pour s’appliquer à une vigilance introspective.

Dans la perspective vajra, la relation instructeur/élève est particulièrement privilégiée pour déceler notre fonctionnement discriminatif et nos saisies réductives. Pour commencer, il faut abandonner tout procès et verdict à notre égard comme à celui d’autrui et envisager la discrimination, qu’elle soit positive ou négative, non pas comme une faute mais comme une erreur qui distille toute une élaboration imaginaire[3] au sens d’une fiction[4] due à la soif et à la saisie et qui rassemble schémas, stéréotypes, catégories, croyances, auto-persuasion, idéalisme, phantasmes etc.

En effet, discrimination et imputations n’ont pas d’impact sur la nature primordiale de l’esprit ainsi le voile de la discrimination et de nos imputations se dissipe à l’instant même où l’on en prend conscience. C’est le principe de tout malentendu[5] que d’être reconnu à l’instant même où il se dissipe.

 

Si l’on veut ne plus s’abuser de nos propres illusions et de n'être pas abuser des illusions d'autrui, il est de notre responsabilité de ne pas prendre pour fondées nos expériences et sensations[6] sans autre discernement ni introspection. C’est en cela que l’engagement à la Vue pure devient un recours à l’émancipation et à l’éveil.

D’autre part, comme tout pratiquant vajra, le Lama de la lignée est censé, s’il ne l’a pas déjà réalisée, appliquer lui-même « la vue du Lama racine » en chaque être. Cela implique de ne pas se prendre pour le maître d’un disciple sans pour autant rejeter sa responsabilité d’instructeur lorsqu’on le sollicite mais c’est à la charge de l’élève d’être conséquent à ses engagements.

 

Les trois types de vœux

Les trois types de vœux[7] sont les repères pour une vigilance et une analyse en toute circonstance. La pratique simultanée de ces vœux donne la souplesse d’intelligence et l’initiative d’action en toute situation. Si l’on applique les trois types de vœux sans qu’aucun ne s’exclut, il sera impossible de les endommager[8].

Lors des cérémonies, l’engagement à ces vœux ne se fait qu’avec soi-même, en son âme et conscience. Le Lama officiant est là comme témoin de notre engagement et on le considère comme le représentant du Lignage naturel (tib. nèl gyu) dans l’expression des Trois Joyaux et des Trois Racines.

Le rappel des cérémonies d’engagement ravive le sens de notre responsabilité. C’est dans les moments critiques et litigieux que le rappel de nos engagements spirituels est nécessaire et que la force de les préserver est vitale. Avoir conscience d’endommager notre engagement et avoir l’humilité de l’admettre, est d’un grand bénéfice pour dissiper les voiles de la saisie imputative (sct. vikalpa, tib. nam tok) et de la soif discriminative. Par contre, si l’on se donne toujours des justifications ou des prétextes, il sera long et difficile de dissiper ces voiles et l’on risque d’appesantir nos humeurs dans l’aigreur, le rejet, le ressentiment, la culpabilité etc.

Dans la compréhension des trois types de vœux et plus particulièrement celui de la Vue pure[9], le Lama d’une lignée ne peut vous exiger obéissance à sa personne ni allégeance à son École ou à sa Vue philosophique.

Qu’un enseignant exige qu’on lui obéisse,

Est signe d’un manque d’estime de soi.

Accepter d’obéir à un enseignant,

Est signe d’un manque d’estime de soi.

Quel bienfait peut-il ressortir d’une telle relation.

Le respect mutuel entre transmetteur et élève

S’impose au regard des valeurs que chacun donne

À leur aspiration et à leur engagement.

 

La Vue pure

La Vue pure consiste à dissiper toutes les élaborations imaginaires et les projections.

Assumer le samaya vajra de la Vue pure n'implique pas une obéissance à l’instructeur vajra qu'il soit Lama ou Rinpotché. Le Bouddha Shakyamouni n’a rien exigé de cela. Vous êtes en droit de fuir tous ceux qui vous demanderaient de leur obéir comme gage de votre Éveil. On ne peut exiger de quelqu'un le respect, la considération et la gratitude parce que ces sentiments ne peuvent être que les conséquences de nos expériences. Vous ne vous engagez qu’avec vous-même. Le Lama de la lignée a pour habilitation d'être le témoin de votre engagement. Ce témoignage est ce qui fait filiation à toute une lignée de transmission.

Transmettre une initiation tantrique c’est partager une Vue en “confiant un pouvoir” (tib. Ouang kour). À nous de faire en sorte que l’Initiation nous apporte maturité et nous libère des voiles de la discrimination et de l’ignorance.

Transmettre un Ngo Treu de la nature ultime de l’esprit et des phénomènes

 



[1] Par « pure » il faut entendre « dénuée de discrimination et d’imputation ».

[2] Les enseignement karma kagyu présente quatre "racine" comme "condition maîtresse" à l'obtention du Mahamoudra. Il est préconisé de prendre pour "racine" les quatre Lamas qui sont : le(s) Lama(s) qualifié(s) d’une lignée, le Lama de l’enseignement du sougata, le Lama de la manifestation symbolique, le Lama ultime du dharmata.

[3] Sct. prapañca [pra-pañca] (tib. treupa). Élaboration imaginaire dont la cessation se fait au 2e yoga du Mahamoudra. (voir Conjonction du Sahaja et Mahamoudra.

[4] Cf. phantasia.

[5] Ce qu’on entend par réaliser une vacuité c’est réaliser la vacuité d’une illusion, entre autres, celle d’avoir pris pour réel ce qui n’est pas réel. La réalisation d’une vacuité est fondamentalement la réalisation d’une désillusion à la manière d’un malentendu qui, se dissipant, nous fait savoir la nature du malentendu. Autrement dit, il faudra attendre de connaître pour savoir la nature de l’ignorance. (extrait du « Rosaire de mots vajra ».

[6] Il est fait référence à « l’agrégat expérience », processus cognitif régit dans l’alternance d’agréer/désagréer. La discrimination valide ensuite en imputant « c’est agréable/c’est désagréable ».

[7] Les vœux du vinaya, de bodhisattva et du vajrayana que je résume par : éthique, empathie et vue pure.

[8] Cf. La Guirlande des précieuses explications, de Gourou Rinpotché.

[9] Pur au sens de dénué de discrimination et d’imputation.